27 Mar Futur relèvement des seuils d’audit légal ? « Rien n’est acté », selon Bercy
La profession du chiffre est en effervescence depuis quelques jours. Les seuils de désignation obligatoire des commissaires aux comptes (Cac) dans les sociétés commerciales seraient de nouveau sur la sellette. Dans un courrier à la profession daté de vendredi dernier, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) affirme que le ministère de l’économie et des finances « examine la possibilité » d’un relèvement des seuils dans le cadre du projet de loi de simplification qui sera présenté cet été.
Cette nouvelle intervient quelques semaines seulement après la publication du décret du 28 février 2024 qui a fait passer le seuil de total de bilan de 4 à 5 millions d’euros, et le seuil de chiffre d’affaires de 8 à 10 millions d’euros (le seuil de 50 salariés est inchangé).
Selon la CNCC, Bercy « souhaiterait opter » pour un nouveau relèvement à 7,5 millions d’euros de total de bilan et 15 millions d’euros de chiffre d’affaires. Soit les limites maximales autorisées par les textes européens. Ces seuils s’aligneraient ainsi sur les seuils des petites entreprises en matière comptable (présentation, publication) ainsi que sur les seuils de l’obligation de reporting de durabilité (voir notre article).
« Nous avions obtenu que cette option soit écartée dans le cadre de la transposition de l’acte délégué sur les effets de l’inflation en Europe », déplore Yannick Ollivier, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. « Le simple fait de remettre ce sujet à l’ordre du jour, quelques semaines seulement après le décret du 28 février, est incompréhensible ».
Selon l’élu, « le relèvement envisagé ne constitue ni une mesure de simplification, ni une mesure d’économie pour les entreprises. Une fausse mesure de simplification, parce que la présence d’un commissaire aux comptes auprès des petites entreprises ne représente, en aucun cas, un élément de complexité, bien au contraire. (…) Une fausse mesure d’économie, puisque qu’elle ne permettrait pas d’alléger les dépenses de l’Etat, et parce que cela reviendrait à affaiblir la crédibilité financière des entreprises vis-à-vis des financeurs, privés ou publics (…) ».
Cette restriction du périmètre de l’audit légal aurait des conséquences « désastreuses » pour la profession, estime Yannick Ollivier. Ce possible relèvement des seuils d’audit légal « impliquerait une remise en cause profonde de l’exercice libéral et une dynamique de concentration dangereuse, alors même que la diversité d’exercice qui caractérise le secteur de l’audit en France constitue une de ses grandes forces et un pilier de sa qualité ».
D’autres voix se sont élevées contre ce potentiel projet gouvernemental. Cécile de Saint Michel, présidente du Conseil national de l’ordre des experts-comptables, estime qu’un tel relèvement des seuils « serait fatal pour l’exercice libéral ». « C’est inacceptable ! », déclare-t-elle dans un communiqué du 22 mars. « Ce rehaussement des seuils menace non seulement l’existence même des libéraux et de leurs cabinets mais risque aussi d’entraîner une concentration du marché audit au sein des superstructures. C’est cette diversité qui fait pourtant notre force, nous devons la préserver à tout prix ».
Du côté des syndicats patronaux, ECF dénonce un « acharnement politique totalement injuste » et craint un accès des futurs et jeunes diplômés au métier de Cac uniquement par les gros cabinets et « grands réseaux anglo-saxons ». L’Ifec indique que « la mesure ne servirait à rien en termes de simplification et de coût pour les entreprises (moins de 7 200 € en moyenne par entreprise concernée) ». Le mouvement Ensemble pour agir a également réagi. Et certains cabinets ont fait entendre leur voix, comme le président du groupement Audecia qui décrit une « initiative incohérente ».
A Bercy, on temporise. « Tout est à l’étude, dont la question des seuils de désignation des CAC. A ce stade, rien n’est acté », nous répond le cabinet de Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Contacté, le ministère de la justice n’a pas encore répondu.
Le président de la CNCC indique qu’il va rencontrer les cabinets du Premier ministre, du ministre de la justice et du ministre de l’économie et des finances « pour porter [son] message » et ne pas subir un second relèvement de seuils d’audit légal en un an.